dimanche 29 mars 2009

À travers la souffrance


Ne cherchez pas dans le film Dédé, à travers les brumes du réalisateur Jean-Philippe Duval une "musicographie" du groupe Les Colocs dont André Fortin était le leader. Dédé... s'attache de façon prépondérante à celui qui fut non seulement le chanteur du groupe, mais aussi son "animateur", à sa forte présence au sein d'une formation en mouvement constant et dont les membres l'ont vénéré autant que détesté.

Dédé..., c'est aussi l'histoire d'une souffrance. D'abord inoffensive vaguelette sur une baie sereine, elle gonfle et gonfle portée par un vent lourd jusqu'à s'échouer violemment sur une plage abandonnée. Cette vague qui prend possession du cœur et de la tête de l'artiste pour le porter jusqu'au hara kiri fatal le 8 mai 2000 est au centre du film de Jean-Philippe Duval... qui comporte tout de même son lot de lumière.

Une œuvre en construction

À partir d'un fil conducteur, l'enregistrement du 3e et dernier disque des Colocs, Dehors novembre, le film rappelle le parcours musical et artistique d'André Fortin, depuis son départ de son lac Saint-Jean natal et son arrivée à Montréal. Étudiant en cinéma, Dédé voit dans la métropole un terreau fertile pour y planter sa création.

Au fil de ses rencontres avec des musiciens qui le charment par leur "groove" naissent Les Colocs, se nouent des amours difficiles à combler, se construit une vaste constellation d'influences qui marquent tantôt la forme, tantôt le fond du legs artistique du créateur. Coup de cœur pour la claquette ou le gumboot, danse africaine que l'on exécute avec des bottes de caoutchouc, découverte de la pauvreté et de la négligence, rupture, enracinement de son sentiment nationaliste, découverte de la francophonie africaine et de la musique "ethnique", l'œuvre des Colocs que semble transporter lourdement Dédé sur ses épaules prend naissance à travers ses nombreux retours dans le temps.

Sur la forme, le film est réussi. Aux va-et-viens entre le pénible enregistrement de Dehors novembre dans un chalet isolé en plein hiver, alors que des plans larges d'une froidure hivernale font écho à la solitude et au repli sur soi du personnage central, et les moments phare de la carrière de Dédé et de ses acolytes avec des scènes de prestation en spectacle particulièrement enlevantes, s'ajoutent quelques animations, dont une magnifique sur la chanson Belzébuth pour évoquer l'œuvre cinématographique d'André Fortin. Le montage est parfois fébrile, les décors ne font pas dans le glamour, mais plutôt dans l'authenticité. Ça sue, ça se néglige et ce n'est pas toujours propre!

Un film à apprivoiser

Au départ, Dédé n'est pas un film facile à apprivoiser.

On peine à s'installer dans ce chalet en désordre ou tout manque alors que débute l'enregistrement du disque d'un groupe qu'on imaginerait travailler avec davantage de moyens. Le réalisateur installe le malaise par des silences, beaucoup de vent. Puis les dialogues m'ont semblé un peu écrits. Après plusieurs minutes je me suis même pris à songer, "Coup donc, pourquoi il s'est suicidé, donc?" tant la douleur du personnage, le personnage lui-même en fait, semblait difficile à appréhender.

Mais voilà la force du film, celle de nous faire basculer lentement, sans effets trop appuyés, dans la souffrance de Dédé, dy 'avancer des explications sans jouer au pédagogue -la mort de l'harmoniciste Patrick Esposito Di Napoli membre de la première heure du groupe et frappé par le SIDA, l'incapacité de l'artiste à nouer une véritable relation amoureuse, la défaite référendaire de 1995, la pression et le poids du monde sur ses épaules- tout en nous rappelant combien cette souffrance a vraiment engendré de la bonne musique. Un petit bijou de scène : une mise en parallèle de la veillée funéraire aux accents bouddhistes de "Pat" par ses amis avec un monologue noir que Dédé enregistre seul, des années plus tard, pour le disque Dehors novembre, en évoquant ce moment.

J'imagine que connaître la musique des Colocs rend plus agréable l'expérience cinématographique. Le talent du réalisateur et la qualité du jeu de Sébastien Ricard, qui habite complètement son Dédé, font aussi le travail. Au final, je n'ai pas "communié" totalement avec le film, comme si une légère pellicule de verre m'en séparait encore, un je ne sais quoi d'un peu froid. Mais Dédé... est loin d'être un film qu'on oublie rapidement et Sébastien Ricard n'a pas fini d'abandonner ses potes de Loco Locass pour jouer sur scéne ou à l'écran.