samedi 8 janvier 2011

Famille, je te hais...

Ne vous inquiétez pas chers parents, ce n'est pas à ma propre famille que je m'adresse dans ce billet! Son titre évoque plutôt la thématique de 3 films "oscarisables" vus durant ce congé des fêtes prolongé: 
Ces 3 favoris dans la course aux Jutras du cinéma américain et qui se distinguent parmi les nominés des récompenses décernées par la presse étrangère hollywoodienne -les Golden Globe Awards- montrent en effet, avec plus ou moins de nuances, l'impact de liens familiaux trop distants ou étouffants sur le destin des personnages principaux.

Les 3 oeuvres s'appuient également sur d'admirables performances d'acteurs, dont notamment celle, époustouflante, de Nathalie Portman dans Le cygne noir, présente dans toutes les séquences d'un film qu'elle porte sans faiblir sur ses frêles épaules.

Dans l'ombre du roi

Le discours du roi est sans doute celui des 3 qui accorde l'importance la plus diffuse au thème de la famille, quoique...

Le roi en question, Albert, hérite par accident de la couronne de son père Georges VI, qui règne sur le Royaume-Uni. "Victime", en tout cas de son point de vue, de la décision de son frère Edward d'abdiquer son titre pour épouser une Américaine 2 fois divorcée, Albert voit son destin basculer.

Incarnant pourtant davantage l'homme d'État que son frangin frivole, "Bertie" s'effraie là où d'autres aurait jubilé, handicapé par un défaut de bégaiement qui nuit à sa prestance de souverain. Albert n'a plus d'autre choix que de corriger ledit défaut, au contact d'un énième spécialiste, un orthophoniste féru de théâtre qui dépasse la simple diction pour s'attaquer aux sources du problème.

Si la relation entre Albert et son spécialiste constitue le cœur du film, l'origine du trouble de bégaiement du prince, enfin mise en mots durant sa "thérapie", est plutôt touchante: confié dès l'enfance par ses parents à une nourrice qui ne l'aimait pas, couvrant plutôt l'ainé Edward de toute son attention, Albert vit difficilement ce manque d'affection et grandit à l'ombre d'un frère dont la lumière suffit à éclairer toute la cour. Ce second n'a jamais pu faire valoir ni le son de sa voix, ni le message qu'elle avait à livrer.


Firth au sommet de son art

La version française du film, la seule projetée à Québec, ne permet sans doute pas d'apprécier l'ampleur de la performance de Colin Firth, au sommet de son art dans ce rôle d'introverti dont la froideur dissimule mal l'angoisse qui l'anime. Cette version n'en révèle pas moins le grand comédien qu'est Firth, qui se glisse dans la peau de ce bègue blessé sans faire dans la caricature. Dans ce film somme toute classique dont l'atout principal, outre la performance du "roi", est le scénario, on croit immédiatement à la relation de confiance et de complicité qui s'engage avec le Dr Lionel Logue comédien laissé pour compte que campe aussi avec aplomb l'Australien Geoffrey Rush.

Le discours du roi ne mérite pas la récompense suprême du meilleur film, mais on voit mal comment Colin Firth pourrait échapper le prix de meilleur acteur le 27 février prochain.

Chercha le noir, tua le blanc

Œuvre à la fois bien écrite et magnifiquement filmée -c'est mon film préféré des 3-, Le cygne noir nous conduit sur des chemins beaucoup plus tordus. Ce long métrage est construit presqu'exclusivement autour du personnage de Nina Sayers, joué par une Nathalie Portman au sommet de sa forme après, paraît-il, une année de cours intensifs de ballet - c'est ce qu'affirmait ce vendredi 7 janvier le chroniqueur de cinéma Marc-André Lussier à l'émission de Christiane Charette.

Nina, étoile montante de la compagnie de ballet au sein de laquelle elle atteint des sommets de perfection technique, souffre du mal inverse de celui du prince Albert. Surprotégée par sa mère, elle-même ex-danseuse, chez qui elle habite toujours, Nina dort aux côtés des toutous et de la boîte à musique de son enfance dans un cocon blanc et rose bonbon. Prise en charge complètement par sa maman, elle compose pourtant mal avec les exigences physiques qu'impose à son corps le métier auquel elle se dévoue sans retenue.

Or, cette perfection physique et technique qu'incarne la danseuse Nina la fragilise dans la course au rôle de reine des cygnes qu'elle tente de décrocher dans Le lac des cygnes, le ballet que s'apprête à monter sa compagnie. L'obstacle: Thomas Leroy, metteur en scène séducteur et manipulateur rendu par un Vincent Cassels qui inquiète réellement dans ce rôle d'artiste ambitieux sacrifiant une à une les danseuses lui permettant de gravir les marches vers la gloire.

Thomas lui offrirait bien le rôle... mais Nina, toute désignée pour "danser" le cygne blanc innocent, candide et pur, peine à incarner le pouvoir de séduction toxique, l'érotisme ensorceleur propres au personnage du cygne noir auquel elle doit aussi faire croire sur scène. Tout le film repose sur le travail insatiable de recherche de cette force "diabolique", dans laquelle Nina doit absolument puiser, au prix de sa santé mentale, menacée qu'elle est par la nouvelle danseuse de la troupe qui, bien que se bourrant d'hamburgers ou arrivant en retard aux répétitions, charme le metteur en scène par sa sensualité exacerbée.

Souffrir pour son art

Succombant inévitablement à l'angoisse que distille le film, je n'en ai pas moins été ébloui par le jeu de Nathalie Portman, comme par le portrait d'un réalisme troublant -qu'a d'ailleurs salué à Christiane Charette l'ex-danseuse étoile des Grands ballets canadiens, Geneviève Guérard- de l'univers de la danse classique:
  • souffrance imposée aux pieds des danseuses par les exigences de pointes et de pas parfaits
  • discipline soutenue tant dans l'entraînement que dans la préparation du corps comme de l'équipement, qui éclipse presque le plaisir de danser
  • rivalités mesquines entre les membres de la troupe pour l'obtention des rôles prestigieux... 
Voir danser Nina est à la fois un ravissement -la musique du Lac des cygnes, solennelle, dramatique et aérienne, est sublime- et un coup au cœur: respiration saccadée, pas quasi inhumains ou complexes... on a tellement mal pour elle!

Au final, on assiste à une représentation aussi inoubliable que riche en rebondissements du ballet maudit, filmée avec une intensité et un soin remarquables. À la fois beau et insupportable...

Rater son entrée dans l'âge adulte

Tenue à distance par sa mère d'une société néfaste pour elle, Nina est-elle victime de son expérimentation trop rapide et trop vive des "maux" dont maman a voulu la préserver?

Car le ballet de Tchaïcovsky, au lieu de la couronner, la propulse plutôt sans ménagement dans l'âge adulte. Cette adolescence explosive ne la laissera sans doute pas intacte.

Famille étouffante

La famille est cette fois le thème central du film Le coup de grâce.

Entraîné à la boxe par son demi-frère Dick, Micky Ward performe à l'ombre de son aîné, la fierté de la petite ville de Lowell. Celui qui a couché sur l'arène le mythique boxeur Sugar Ray se complaît dans l'admiration de toute une ville, elle qui semble fermer les yeux devant sa lente déchéance provoquée par des abus de crack. Soulignons ici la performance éclatante de Christian Bale dans le rôle du boxeur déchu qui, quoiqu'attachant par sa sociabilité et sa détermination, nous fait rager par son insouciance et son incapacité à miser sur sa gloire passée.

Micky, juste mais exaspérant de bonté Mark Walhberg, tolère pourtant les excès de son frère entraîneur à la veille d'un combat déterminant pour sa jeune carrière. Il fait preuve d'autant d'indulgence face à la complaisance de sa mère, sa gérante, qui protège de façon honteuse le délinquant de la famille, jusqu'à compromettre la carrière de son plus jeune.

La rencontre avec sa copine Charlene, ex-athlète au caractère beaucoup plus trempé que le sien, puis un événement tragique convainc Micky de la nécessité de briser les liens familiaux pour se consacrer à sa carrière sous l'égide d'une nouvelle équipe. Mais doit-il, pour enfin briller sans que son frère ne l'éclipse, nécessairement s'exiler et abandonner complètement sa famille? Ou seulement s'affirmer, modifier la teneur des liens fusionnels qui l'unissent à sa tribu? Dans sa nouvelle équipe, ne dépose-t-il pas les armes une nouvelle fois?

Comme Le cygne noir, Le coup de grâce, dans lequel le ballet cède le pas à la boxe, pose la question de la nécessaire et seine affirmation de soi: celle qui permet d'imposer ses choix sans renier qui l'on est et celles et ceux qui, parfois peut-être maladroitement, ont jeté les bases de nos valeurs et façonner notre personnalité.