Ce mardi 25 mai à la salle Albert-Rousseau de Québec, dès la première salve d'applaudissements destinée, en levée de rideau, au metteur en scène René-Richard Cyr, à l'auteur-compositeur Daniel Bélanger et à l'auteur Michel Tremblay, j'ai su que j'allais assister à un événement. Point culminant du 11e Carrefour international de théâtre de Québec avant même qu'il ne débute réellement, le théâtre musical Belles-Soeurs s'inscrira effectivement dans l'histoire québécoise des arts de la scène au même titre que la pièce qui lui a donné naissance.
Un show... parfait. Jeu solide et habité des comédiennes. Mise en scène sans aucune faille. Jeu des musiciens, arrangements, choeurs : parfaits. Décor, accessoires, costumes: parfaits. Une oeuvre comme on en voit rarement, complète, dense et divertissante, comique et dramatique : voilà ce qu'est l'adaptation musicale de la pièce "révolutionnaire" de Tremblay.
Le brio d'un metteur en scène
Disons-le d'emblée, René-Richard Cyr s'est approprié le texte des Belles-Soeurs avec brio. Misant essentiellement sur le texte de la pièce -Belles-Soeurs n'est pas une comédie musicale où l'on chante constamment-, Cyr a transformé les monologues du texte original en numéros musicaux tantôt drôles et pleins de folie, tantôt extrêmement touchants.
Ces numéros, il en a d'abord fait des défis.
Il faut entendre l'une des invitées du party de timbres entonner sans trous de mémoire en se berçant la longue liste des invités à la noce de sa fille. Absente à ce moment, Mme Brouillette s'enquiert en revenant de la salle de bain, "qui c'est qui était là, donc?" Et à la surprise générale, les 14 comédiennes de reprendre la liste!!
Que dire de l'hommage au bingo -c'est B14 qui me manque!-, numéro qu'on commentera encore sans doute dans 10 ans. Exploitant le ralenti cinématographie, René-Richard Cyr créée durant de longues minutes déplacements et chorégraphies reconstituant comme si on y était la fébrilité des parties de bingo de sous-sol d'église. Quinze comédiennes entonnant à l'unisson une savante partition de Bélanger et répétant tout en s'agitant : "Moi, j'aime ça le bingo" en attendant le climax du fameux B14! Tout ça pour remporter un abat-jour ou un plat de "peanuts".
Vies pathétiques et timbres maudits
Plus que des défis, les numéros musicaux ajoutent à l'intensité de la pièce de Tremblay. Ils en accentuent le côté comique et nous travaillent encore davantage le coeur durant ses passages dramatiques.
Car Les Belles-Soeurs est avant tout une tragédie : esquisse des vies pathétiques de femmes soumises à la religion, au sexe, à leur mari, sans contrôle sur leur destin, jalouses du succès des autres, honteuses de leur propre condition, que la chance inouïe d'une de leur semblable, Germaine Lauzon, réunit autour de timbres à coller. Ces timbres maudits au départ promesse d'une richesse inespérée agiront comme un catalyseur de la véritable nature des personnages. Témoin du retour, en début de 2e partie, de la soeur maudite de Germaine, Pierrette Guérin -incroyable Maude Guérin à la voix chaude-, le party d'abord amorcé dans la joie se termine sur de sombres notes et nous jette en pleine face une implacable conclusion : celles qu'on accuse de "mauvaise vie" possèdent parfois un coeur bien plus pur que bien des "saintes femmes"!
Un jeu sans faute
Sur le plan du jeu, toutes les comédiennes s'illustrent, en jouant comme en chantant, sans quitter le cadre de leur personnage. Les chansons concoctées par Bélanger, solos comme pièces chorales, tout en mettant en valeur la voix des actrices et leur étonnant synchronisme, conservent un je ne sais quoi de kitch ou de réalisme qui les ancrent au coeur de la cuisine de Germaine Lauzon, lieu de tous les potinages et de toutes les confidences.
Les 15 comédiennes demeurant sur scène presque toute la pièce dans la version 2010 de René-Richard Cyr, celui-ci a imaginé pour elles de savants déplacements et de nombreux intermèdes où ça piaille et ça pépie avec vigueur. Même si plusieurs personnages nous semblent au final un peu flou, l'histoire nous tient en haleine, son rythme est soutenu.
Longue ovation debout fort méritée au terme de ce chef-d'oeuvre, bouffée d'émotions à l'arrivée sur scène du trio de concepteurs. On rêve déjà de revoir plusieurs des numéros qui nous ont éblouit. "A va tout avoir... a va tout avoir ça, GRATIS", voilà ce que je chante depuis mardi!
À voir absolument.
- Au Centre culturel de Joliette du 25 juin au 4 septembre 2010.
- De retour à Montréal et à Laval en mars et en avril 2011.
- En tournée au Québec au printemps et à l'automne 2011 et en 2012.
- Nouvelle série de représentations à Québec en janvier 2012.
Les billets pour plusieurs représentations sont en vente maintenant.
Et pour entendre un extrait de la pièce et en apprécier la richesse des choeurs: http://www.belles-soeurs.ca/
2 commentaires:
Belles-Soeurs : quel commentaire juste. Je peux dire moi aussi que j'y étais !
Je me sens comme quelqu'un "qui a gagné qu'chose!"
Une seule question : à quand le disque ?
diane
Chère tante, nous sommes aussi en attente du disque, pour pouvoir chanter en chœur "M'a toute prendre ça, m'a tout avoir ça... Gratis"!
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