vendredi 3 septembre 2010

Ich bin Berliner

Porte de Brandebourg, Berlin.

Je suis devenu un Berlinois.

Non pas à la manière dont John F. Kennedy, président américain de passage à Berlin-Ouest, le proclamait du haut du balcon de l'hôtel de ville en 1963: JFK – qui soit dit en passant, s'était plutôt exclamé, « Ich bin ein Berliner - Je suis un beignet! » à cause d'une erreur de syntaxe dans son discours- évoquait alors le symbole de résistance au communisme incarné par l'ouest de l'ancienne capitale allemande. Je suis un Berlinois = je suis un homme libre = j'appartiens au monde libre, à sa démocratie, à son capitalisme, à sa bienheureuse existence faite de toute absence d'oppression.

Et moi, pourquoi suis-je berlinois? 

Parce que j'ai définitivement adopté la capitale allemande. Capitale du pays d'Angela Merkel, de Bertold Brecht, de Beethoven et de Siemens, comme du design et de l'architecture, Berlin est une ville résolument tournée vers l'avenir, le changement, la modernité, la « contemporanéité ». Cette foi en l'avenir semble constituer une essence essentielle à son développement, celui-ci se voulant constamment ancré dans l'audace, l'originalité, l'innovation.

Le bienheureux petit déjeuner

Et je suis aussi un Berlinois parce que les Allemands vouent un véritable culte au petit déjeuner.

Château Bellevue (Palais présidentiel)
Au Baxpax Hostel, où nous avons établi nos quartiers, nous profitons pour 5,50 euros chaque matin d'un consistant déjeuner buffet à volonté, accompagné d'un café américain tout aussi à volonté et -cadeau des dieux- d'un jus d'orange!!

Pain kaiser ou sésame frais, confiture, beurre bien dodu, toasts, yogourt aux pêches ou aux cerises -bon, pas mes saveurs favorites, mais yogourt quand même-, céréales, salade de fruits, viandes froides, fromage, tomates, concombres, salade, la table est bien mise sous le bar du Cosmo Lounge, qui nous a accueilli chaque matin au son de sa musique doucement trip-hop, souvent planante, mais parfois un peu trop techno ou rock à notre goût. Comme au lendemain de notre nuit au Watergate où la même musique techno que celle sur laquelle nous avions dansé nous a tendu les bras à notre arrivée au déjeuner alors qu'un concerto pour piano de Bach aurait très bien fait l'affaire!

Dans les restaurants de Berlin, on sert régulièrement le déjeuner jusqu'à 13h- comme à notre hôtel les samedi et dimanche-, 15h, et même parfois jusqu'à 17h ou même... 24 heures par jour !! Quant au brunch du dimanche, il s'agirait d'une institution qui se prolongerait sur plusieurs heures, offrant aux convives tout le temps nécessaire pour échanger sur la semaine passée ou à venir tout en dégustant un savoureux repas.

J'adore le petit déjeuner... j'adore Berlin!!

Contraste saisissant

Place publique sur Hackescher Markt
On ne saurait imaginer contraste plus saisissant entre Rome et Berlin en cette fin du mois d'août.

Rome, désertée par ses habitants écrasés par la chaleur, vit des touristes qui la parcourent paisiblement sous le poids d'un soleil de plomb, mais bénéficiant d'un magnifique ciel bleu, se traînant sans presse d'un site touristique à l'autre.

Berlin, après avoir connu un mois de juillet exceptionnellement chaud, paraît-il -des journées de 40°C, non merci...-, vit un mois d'août plutôt frais, le mercure dépassant rarement les 19-20°C chaque jour. Un été à oublier en somme, et nous ne nous sommes malheureusement pas prélassés sur la terrasse située sur le toit du Baxpax, y buvant goûlument cocktail sur cocktail au bord de sa piscine! Les nuages, la bruine, les averses, le soleil pointant entre 2 cumulus ou au travers d'un ciel d'un menaçant gris fer ont remplacé le plein soleil et la chaleur... pour notre plus grand bonheur!

Ceci dit, nous n'avons pas baigné sous les averses chaque jour. Le soleil trouait un ciel paresseusement nuageux presque en début ou en milieu de chaque après-midi, offrant une soirée jamais totalement claire, mais souvent colorée par les rayons du soleil couchant et transpercée de quelques étoiles par-ci par là.

Tiergarten
Nous avons notamment traversé sous le soleil le parc urbain Tiergarten -chanté par Rufus Wainwright-, profitant d'une halte au bord de sa Neue See. Lac aux chaloupes rouges bordés de chaises longues joyeusement rayées, offrant de se blottir dans leurs couvertures rouges et vertes, et des tables de bois extérieures d'un café et d'un restaurant. Le vent secouait alors les arbres hauts, le soleil dorait nos pintes de bière, de la musique folk un peu nostalgique s'écoulait des haut-parleurs installés dans les arbres et nos regards se tournaient tous vers le lac pour nous gaver du soleil s'affaissant tranquillement derrière la forêt. Moment magique, comme les vacances nous en réservent souvent, autour des couples s'enlaçant ou des amis discutant sur les coussins du quai surplombant le lac, pause en fin de journée qui nous a fait dire, à N et moi: « C'est beau, une belle journée d'octobre! »

On range les babouches, on sort le foulard!

À Berlin, nous avons rangé les babouches, la casquette et les bermudas pour sortir nos jeans, nos coupe-vent, notre parapluie et nos espadrilles. Autour de nous, les Allemands portent allègrement l'écharpe. Ayant légèrement froid au cou -quoi, ça existe encore, en cette terre déréglée la notion d'avoir froid??-, je m'en procure une à rabais chez H&M, grande chaîne américaine dont les Berlinois semblent friands: peut-être parce qu'ils ont un penchant pour la tenue vestimentaire à peu de frais, sans griffe et d'une élégance misant sur l'agencement original ou l'accessoire inédit?

Sony Center
Sur les strasse -les rues- et les platz -les places publiques- triomphent aussi la canadienne, le kangourou, le blouson militaire, l'imperméable ou autre paletot que toutes ces épaules que l'on croise déclinent dans des teintes de gris et de noir. Et bien sûr règne ici le jeans dans toute sa splendeur, classique, taille basse dévoilant soigneusement le boxer, skinny ou dans une coupe que je n'ai jamais vue ailleurs, celle de la culotte de cheval en denim! On porte ici la création de Levi Strauss -un Allemand- dans des teintes de marine, de noir et de gris... et parfois dans des couleurs plus vives, bleu royal, jaune, rouge, comme cette mode qu'a tenté de nous proposer en vain Simons cet été!

Bienvenue au pays de l'Adidas Semba, de la casquette de laine et du veston de tweed! Je n'ai jamais célébré l'entrée dans l'automne avec autant de bonheur! J'ai l'impression de respirer l'air pur dans une capitale que le Lonely Planet nous décrit pourtant comme polluée et la fraîcheur ambiante me redonne de l'énergie après 5 belles journées sous un soleil parfois un peu harassant.

Du taxi à la rue

Météo contrastante, donc, style de vie et ambiance aussi!

Hachesche Höfe, labyrinthe de cours aux façades colorées.
Nous prenons rapidement le pouls de cette différence en sautant dans un taxi à notre arrivée vendredi soir à l'aéroport de Schönefeld. C'est un chauffeur bien plus calme et concentré qui nous conduit sans manœuvres hasardeuses à notre hôtel, situé dans le quartier de Mitte-Scheunenvirtel, l'ex-quartier juif de Berlin.

Tout le contraire de la conduite émotive italienne, qui nous incitait souvent à nous accrocher à la porte arrière du véhicule ou à simplement détourner le regard de la route. « Ça pas de bon sens... », ne pouvait s'empêcher de constater la Québécoise nous accompagnant dans le taxi nous reconduisant de l'aéoport de Fiuminicio à la Penzione Panda, à Rome.

Le chauffeur qui nous a cueilli sur la Via della Crocce, rue de notre hôtel, pour nous déposer à l'aéroport Ciampino s'est quant à lui successivement permis de ralentir pour lancer de jolis mots doux à une belle longeant le trottoir, pour ensuite engueuler un chauffeur qu'il venait de couper avant de s'engager à -très- vive allure sur l'autoroute menant à Ciampino! Le tout après quelques minutes de conduites à la Schumacher entre 2 ronds-points du centre-ville.

Berlin est-elle plus grise que Rome?

Tour de télévision d'Alexanderplatz
On y trouve en fait une variété de façades, plus diversifiées qu'au cœur de la ville de Berlusconi, certaines pastel comme dans la capitale italienne, jaune, saumon, rosé, d'autres plus sobres, blanches, anthracite, ivoire, toutes s'étirant sur quelques étages et affichant une apparente rectangularité, quoique une vue de Berlin du haut de la tour de radio d'Alexanderplatz nous a révélé une cité plate construite en blocs triangulaires ou circulaires ou carrés, bref, de façon parfois chaotique, comme Rome et Paris.

C'est toutefois le culte du design, de l'art contemporain et d'une décoration tantôt épurée, tantôt recherchée, qui me surprend et m'emballe dès notre première soirée, faisant toute la différence avec Rome, véritable musée antique en plein air un peu figé dans le temps. Chaque restaurant, chaque bar, chaque café de Berlin semble s'être donné pour mission de créer son propre style, sa propre ambiance, de se distinguer de ses voisins pour nous convier autour d'une bière ou d'un repas tantôt dans une antre chaleureuse, tantôt dans un bar à vin épuré, autour d'une bougie ou sous des abats-jours plus modernes ingénieusement décorés.

Des terrasses stylisées

Cette recherche de style transparaît notamment dans l'aménagement des terrasses dont sont dotés presque tous les établissements et qu'occupent bruyamment les Berlinois même en ces soirées de 15 à 20 degrés ou en ces journées plus fraîches parfois dépourvues de soleil.

Divans coussinés de blanc, de noir ou de rose des lounges, statues aux bras déployés d'un établissement indien duquel s'éparpillent des projecteurs rouges et jaunes, chaises de plastique à la IKEA, chaises hamac, fauteuils en rotin, chaises tissées, lampions rouges religieux ou ampoules rouges, jaunes, oranges, bleues et vertes suspendues sobrement à un fil cerclant la terrasse, large parasol carré, palmiers ou plantes en pots, fines lumières blanches de Noël, mobiliers de bois rappelant le style du magasin Mà à Québec: on trouve de tout sur ces terrasses franchement invitantes, l'une d'elle, appartenant à un fleuriste, proposant même un savant entrelacs de tables, de fleurs fraîches et de plantes en pot! Tout ou presque se déguste sur ces terrasses, d'un cappuccino préparé avec soin à un café Starbuck en passant par un snack vite fait, un souper s'étirant sous les lampes ballons blanches ou une bière qu'on dépose sur une nappe à carreaux.

Édifice de la DZ Bank, conception de l'architecte Frank Gehry
À Berlin, donc, l'originalité se manifeste jusque dans les terrasses, qu'on aperçoit entre les vitrines de magasins de meubles aux lignes recherchés ou de boutiques de vêtements délicatement fripés, suspendus, agencés dans des décors variés, dont l'un de supermarché, de galeries d'art contemporain affichant leurs toiles bariolées ou leurs sculptures improbables sur les conventionnels murs blancs ou entre les salons d'exposition des voitures Bugati, Fiat ou Volkswagen qu'on expose comme des produits de beauté ou des fringues stylisées.

Et il n'y a pas que les vitrines, autant d'œuvres d'art, qui soient reines de la nuit puisque l'Oranienaburger Strasse, la grande avenue située à proximité de notre hôtel, fait également la part belle aux prostituées! Elles sont grandes – une chose d'ailleurs à dire sur les Allemands: ils sont VRAIMENT grands et il n'est pas rare de se faire regarder de haut par une géante de 6 pieds 3 ou un grand sec blond repoussant les 6 pieds 5-, bottées jusqu'aux genoux, minces et portent fièrement la perruque coupée au carré mauve ou blanche. De belles filles qui nous abordent avec leur « Allô » -surprise, la salutation allemande se prononce exactement comme en français-, nous déclinant sans doute ensuite une indécente proposition -qu'on repousse évidemment... Ça me désole un peu en fait de voir ces jeunes filles à la rue...

J'ai rarement vu des prostituées solliciter aussi ouvertement des clients sur une grande artère, comme si des putes défilaient impunément sur la Grande Allée. Je dois le dire, elles me rendent un peu mal à l'aise, ces travailleuses du sexe.

Autre différence frappante entre Rome et Berlin? La langue!

Coupole de verre du Reichstag, le Parlement fédéral allemand
L'italien est une langue chantée, on se repose longuement sur une syllabe avant de jeter les suivantes en l'air, avec force voyelles comme les o et les i. L'allemand est plus articulé, plus posé, mais me procure un sérieux casse-tête. Tandis que N, doué pour les langues, renoue sans peine avec ses notions de la langue de Goethe apprise au Cégep, me disant, « ah, ça, ça veut dire ceci », je m'embrouille un peu dans la prononciation. C'est que z se prononce comme s, s comme ch, ch comme h... J'exagère un peu, mais l'allemand, qu'on réussit un peu à lire en raison de sa ressemblance avec l'anglais et le français, dépayse quand même! Quoiqu'on s'excuse ici en disant « Sorry... ».

Une bonne grosse cuisine d'hiver

Et la cuisine, outre le petit déjeuner?

Bye bye le régime méditerranéen fait de pastas, de gelati et d'huile d'olive, bonsoir la bonne grosse cuisine d'hiver confort food! La bouffe allemande, délicieuse, pèse lourd sur l'estomac avec ses vurst -saucisses- baignant dans une sauce au curry ou glissées dans un pain à la moutarde, servies avec choux mariné et pommes de terre bouillies. Cette cuisine, servie dans des portions raisonnables, fait la part belle à la viande -veau, agneau, porc, boeuf...-, aux patates -maman, tu serais enchantée!-, aux soupes et aux légumes d'hiver et pour digérer entre 2 repas de cette nourriture jamais trop grasse tout de même, un dönner, croisement entre le chiabatta et le shick taouk introduit à Berlin par l'importante communauté turque.

Surprenant: on mange -et on vit- pour à peu près rien, ici, et on nous sert de délicieux repas soupe-plat-principal-dessert-vin-eau-café pour un prix aussi bas que 21 euros. Je suis définitivement un Berlinois.

Pour cette propension au bien manger pas cher, à tout ce que je viens de vous écrire, mais aussi pour cette métropole culturelle qu'est la capitale, forte de ses 400 galeries d'art, de ses 3 opéras, de son orchestre philarmonique réputé, de ses 47 salles de théâtre, de ses 2000 groupes de musique, de ses 700 créateurs de mode et de sa Berlinale, son festival de cinéma qui se classe dans le top 5 des manifestations mondiales du 7e art avec Cannes, Venise et Toronto. De plus, le cycliste en moi constate qu'on roule abondamment en vélo, à Berlin, on chevauche la monture de Lance Armstrong en complet, en tailleur ou en tenue décontractée sur une des nombreuses pistes cyclables qui longent les avenues fréquentées comme les plus tranquilles. En somme, facile de se rendre travailler à vélo, d'autant plus qu'un service de prêt de bicyclettes -moins flamboyant que les bixis montréalais quand même!- y est instauré.

Monument aux victimes de l'Holocauste
Seule nuisance omniprésente: non, pas les grandes chaînes américaines -bien qu'on croise de temps en temps Subway, Dunkin Donuts et toute une pléiade de Starbucks, dont je suis fan je l'avoue, mais plutôt les graffitis. Des graffitis loin d'être artistiques couvrent le moindre mur d'un squat abandonné, mais aussi plusieurs façades tout à fait propres. Aucun lieu ne semble repousser les bombes aérosol des grafiteurs qu'on ne peut qualifier ici d'artistes de la rue et il a fallu penser à recouvrir les stèles de béton du Monument aux victimes de l'holocauste d'un enduit spécial pour les protéger des inscriptions spontanées.

Quoiqu'il en soit, cette épidémie urbaine ne jette en rien un voile sur le plaisir que j'ai eu à parcourir Berlin, ville épicurienne qui, paraît-il, ne se refuse aucun plaisir, sexe, alcool, drogue, et dans laquelle on boit sans problème dans le métro et sur la rue! On commence à clubber vers minuit, les clubs sont ouverts toute la nuit et parfois jusque tard l'après-midi dans le lendemain et prendre le métro à 3h à Berlin constitue toute une expérience, puisqu'on y côtoie autant de gens -des fêtards la plupart- qu'à Montréal à 22h! Dans la file d'attente du club Watergate, des Allemands nous ont même offert une Beck du « 6 packs » qu'ils tenaient à la main! Wow.

J'aurais aimé découvrir davantage Berlin et nous aurions pu y passer encore des jours sans nous lasser. Mais je suis définitivement devenu un Berlinois.

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