mardi 28 décembre 2010

La voix des disparus

Je possède un livre de recettes un peu particulier. Ce livre, jamais publié, est le résultat d'un patient travail de recherche, de saisie et de coordination accompli par mon amie d'enfance MB.

À la suite du décès de sa mère, une cuisinière hors pair et dévouée, MB y a réuni les recettes de cette dernière, les siennes et celles de 2 de ses tantes. Patiemment, elle en a « numérisées » un grand nombre, puis les a imprimées, classées et indexées.

Je me considère privilégié d'avoir reçu une copie de ce livre qui vaut à mes yeux bien plus qu'un recueil de Ricardo ou Di Stasio. Il constitue en quelque sorte une lente antidote à un deuil éprouvant.

Se souvenir d'une voix

Ce samedi 18 décembre, c'est un peu ému que j'ai parcouru ce recueil gourmand au son du dernier disque d'Arcade Fire. Je me souvenais de Françoise, la mère de MB... tout en songeant au premier Noël sans Louis, le père de N. Un Noël finalement rempli de son souvenir, à la fois nostalgique et sous le signe de la solidarité et de la solidité des liens d'une famille que je me prends souvent à admirer.

À la demande de MB, j'ai eu le privilège de rédiger et de lire un hommage à Françoise lors de ses funérailles. Quand j'ai amorcé l'écriture du texte, un premier souvenir s'est imposé de lui-même: sa voix, forte, enthousiaste, qui habitait toute la pièce où elle se trouvait, cette voix dont ont hérité M et F que je côtoie davantage, cette voix aimante et chaleureuse qui portait loin toute l'affectation qu'elle éprouvait pour son conjoint et ses 3 enfants.

J'entends souvent Louis depuis son décès. Cette semaine, je me rappelais ce matin de 25 décembre 2005, dans ma cuisine de la rue Cartier. SB, les enfants et lui avaient dormi chez nous après un mémorable réveillon et tandis que je faisais aller lavette et essuie-vaisselle, il m'accompagnait du refrain de C'est Noël de sa voix juste et puissante.

Car Louis savait chanter. Rarement interprétait-il une chanson du début à la fin, parsemant plutôt les conversations de « Couroucou Paloma » ou de « Rire aux larmes », mais j'ai rapidement compris d'où N tenait ses talents de chanteur et de musicien. Louis avait de l'oreille et du rythme et poussait régulièrement la note au son des 1600 morceaux de sa turlutte, longue partition de sa cavale en Alaska l'été dernier.

« Bonjour, jeune homme! »

J'entends Louis presque chaque fois que nous entrons dans sa résidence de Cap-Rouge.

Je me souviens de ces soupers du dimanche soir alors qu'il venait le premier à notre rencontre. « Suzie, c'est Ti-Nico! », lançait-il à la ronde! Et puis j'entends 
  • ce « Bonjour, jeune homme! », qu'il m'adressait solenellement
  • ses «Suzie, il mange tous nos biscuits!» un peu paniqué quand son Ti-Nico se jetait dans les boîtes de craquelins en attendant le premier service
  • ses « Et puis, comment va l'Assemblée nationale? » ou le Conseil du trésor ou la CSST, selon nos employeurs du moment
  • ses méchantes expressions chaque fois qu'était prononcé le nom d'un certain député de notre noble assemblée...
Et j'entends aussi ses éclats de voix lorsque nous abordions des sujets de conversation plus controversés comme les droits de chasse des autochtones, le développement durable ou la gestion des forêts au Québec.

Je l'entends autant que je le vois. J'entends cette voix assurée comme j'entends encore celle de Françoise caresser son Denis de petits mots d'amour.

Et je me dis, après avoir vécu la mort de si près, dans ses coulisses qu'elle a si tristes, que j'aurais pu être davantage présent pour MB. Lui cuisiner ces plats savoureux que nous ont généreusement concoctés les amis des parents de N dans les jours suivant le départ de Louis. Ou juste écouter, car on a tant besoin de parler pour évoquer le souvenir des disparus, pour qu'il vive encore longtemps... 

Je pense qu'en 2002, la mort avait encore quelque chose d'irréel pour moi, que j'en ressentais mal tout le poids. Aujourd'hui, je perçois davantage le vide irréel qu'elle provoque.

Combattre silence et oubli

Je me souviens de cette mère endeuillée de Rimouski, membre d'un groupe de parents ayant vécu la mort d'un enfant, qui m'avait confié lors d'une entrevue au Progrès Écho que le silence des proches à la suite d'un tel drame pouvait causer davantage de blessures que de soulagement. Et je me souviens aussi de la scène tellement forte de l'avant-dernier épisode de la série télévisée américaine Six Feets Under, ce toast à l'un des personnages disparus tellement émouvant.

Les décès qui nous parlent encore ne feront jamais tinter de joyeuses mélodies. Mais ils sont l'occasion parfois inespérée de réconciliations et souvent de rencontres humaines dans ce qu'elles ont de plus loyales, amicales et complices.

Profitez bien de ce temps des fêtes pour exprimer à vos proches tout l'amour qu'ils vous inspirent, en mots comme en gestes. On ne contrôle hélas! pas ni le moment, ni le lieu de leur ultime départ...

1 commentaire:

Suzie a dit…

Merci Raphaël pour ce si touchant témoignage qui fait retentir à mes oreilles une voix que je n'oublierai jamais et que j'entends encore tous les jours. Je t'embrasse très fort et j'espère que tu entendras pendant longtemps le "Salut jeune homme" quand tu entreras à la maison.