samedi 21 janvier 2012

Ces films "oscarisables" qu'il faut voir

Obtenir une nomination aux Oscars ou remporter la très -trop?-médiatisée statuette n'est pas nécessairement un synonyme de qualité pour les œuvres primées. La saison des récompenses cinématographiques américaines constitue cependant pour moi le prétexte idéal pour voir des films de qualité qui m'auraient échappés au cours de l'année et dont le dévoilement des nominés début 2012 me rappelle l'existence.

Parmi ceux-ci,The Descendants (Les descendants), The Help (La couleur des sentiments) et le tout récent Carnage.

Deuil et petits drames du quotidien

Les descendants a pour thème central le deuil. Celui d'un père, Matt King, incarné par George Clonney, dont la femme est plongée dans le coma à la suite d'un grave accident de bateau. Manque de chance, Matt s'apprêtait à avoir avec Elizabeth cette conversation qui aurait pu relancer leur couple. Père absent avalé par son travail, Matt doit s'effacer derrière sa douleur pour prendre soin de ses 2 filles dysfonctionnelles auprès desquelles il n'a jamais été présent et qu'il ne connaît pas.

À ce deuil de sa vie amoureuse et familiale s'ajoute celui des terres vierges dont ses cousins et lui ont hérité sur l'île d'Hawaï qu'ils habitent. On sent Matt profondément attaché à ces terres, habitées de souvenirs et d'aventures, territoires jusque-là inatteignables de son enfance, alors que ses cousins songent déjà au coup d'argent qu'ils feront en les offrant à de riches promoteurs. 

Clooney en symbiose

La traduction franchouillarde exaspérante de la version française ne nous empêche heureusement pas d'apprécier la très nuancée performance d'acteur de Georges Clooney. Clooney est totalement en symbiose avec son personnage de père dépassé par les événements et d'homme dont les raisons de vivre vacillent. On ne peut qu'être empathique devant sa peine et espérer avec ardeur que les jours qui passent lui apporteront un peu de soleil.

Film extrêmement touchant, Les descendants propose aussi une réflexion sur la mort et les rituels qui l'entourent. Les personnages secondaires, les filles de Matt, l'ami de la plus vieille, un ado inconscient dont on découvre toute la profondeur, les parents d'Elizabeth, sont touchés de diverses façons par le coma de cette femme adorée, mais dont le vernis craque doucement. Ces personnages sont consistants et ceux qui leur donnent vie au diapason du jeu de Clooney.

Tourné à Hawaï, le film d'Alexander Payne présente une facette pas toujours pittoresque de l'île, convoitée par de gourmands promoteurs, pour le malheur des populations qui y vivent depuis des siècles. Une musique "folklorique" - je n'aime pas ce mot, car elle est magnifique, vivante et parfaitement intégrée à la production-  baigne toute l'oeuvre, nous apportant un peu de chaleur dans cette histoire tendre et triste, sans drame spectaculaire, collant plutôt au quotidien des endeuillés de toute sorte.

Enfin, un film de femmes...

Des 3 productions, La couleur des sentiments est sans doute la plus commerciale. Parfois un peu mélo -vous savez, quand dialogues, musique et plans de caméra sont "pensés" pour nous faire verser quelques larmes...-, le film n'en possède pas moins de grandes qualités, à commencer par celle d'être un film de femmes.

Au cours des années, plusieurs actrices ont déploré l'absence, dans les scénarios qui leur sont soumis, de rôles exigeants et complexes. Faire valoir de leurs collègues masculins, petite amie sexy, mère bienveillante, les actrices n'ont guère la chance de s'illustrer sous le ciel d'Hollywood... quoique 2011 se distingue à cet effet. Or, La couleur des sentiments a permis à 3 comédiennes de la distribution, sur les 7 personnages féminins principaux, de décrocher une nomination dans une des catégories d'interprétation des Golden Globes. Ces nominations tout à fait méritées.

Humiliation et sacrifice

Adapté du roman Kathryn Stockett, le film de Tate Taylor -Tate qui??- aborde le thème de la lutte pour la reconnaissance des droits des noirs dans l'état ségrégationniste du Mississipi des années 1960. Sa force? Éclairer ce sujet sous un angle original : délaissant les combats de Martin Luther King et l'engagement des frères Kennedy au pouvoir, la caméra de Taylor se pose sur la ville de Jackson, où une majorité de femmes noires gagnent leur vie en élevant les enfants des blanches bourgeoises... dont elles ont pourtant été les nourrices.

Profondément attachés à ces bébés, qui les privent pourtant de temps passé avec leurs propres enfants, ces bonnes n'en subissent pas moins de nombreuses humiliations: pour éviter de propager les maladies, elles doivent se résigner à fréquenter des toilettes qui leur sont réservées. Il faut d'ailleurs voir le visage sur le dégoût des bourgeoises à l'idée de s'asseoir sur une bolle qu'aurait utilisée une noire...

Si ce quotidien de dévouement, de service, de sacrifices ramène invariablement les femmes noires à leur condition de citoyenne de 2e ordre, il leur offre parfois des occasions de vengeance, moments comiques du film. Mais le lendemain ramène son lot de coups bas, perpétrés par ce club d'amateures de bridges qui organisent hypocritement des activités de financement pour la cause des Africains. Facile de se donner bonne conscience...

Fraîchement rentrée de l'université, journaliste et écrivaine en devenir, Skeeter se désole du sort de ces bonnes et leur offre une tribune pour faire avancer leur condition. C'est à cette aventure que s'intéresse La couleur des sentiments, aventure à laquelle participe Aibileen, bonne silencieuse et résignée, sa "collègue Minny, personnage coloré et indigné, Hilly, "leader" des Blanches qu'on se plaît tellement à haïr et Celia, blanche rejetée par ses pairs qui noue une relation de confiance avec Minny.

Une bonne histoire, un angle pertinent, des actrices convaincues... un spectateur qui s'émeut et s'indigne. En cette saison des récompenses, La couleur des sentiments mérite amplement l'attention qui lui est accordée.

lundi 16 janvier 2012

Faire de la politique autrement

Le 2 mai dernier, plusieurs femmes et hommes politiques québécois ayant consacré une partie de leur vie -voir la majeure, pour certains- à représenter leurs concitoyens ont été brutalement éjectés de leur siège de député. Il a suffi d'un homme, d'un désir plutôt flou de changement. D'où une soudaine volonté, chez les collègues ayant assisté avec frayeur à cette grande brassée de couleurs politiques, de faire de la politique autrement.


La saison des idées...

Le Parti québécois se penchera en février sur des propositions allant en ce sens. Déjà échaudé au Québec par le raz-de-marée adéquiste du printemps 2007 et effrayé par, celui, anticipé, des coalisés de François Legault, le parti renoue avec la saison des idées. Révision du mode de scrutin, possibilité pour les citoyens d'initier des référendums initiés, inscription officielle dans les statuts du parti du vote libre des députés à l'Assemblée nationale, bref, d'ambitieuses réformes dont certaines -pensons à celles liées au mode de scrutin - ne se concrétiseront assurément pas.

En fin de semaine dernière, le Parti libéral du Canada profitait quant à lui de son Congrès biennal pour revoir ses structures et ses statuts. Objectif pour plusieurs: faire plus de place aux citoyens dans la transformation extrême que souhaite s'imposer un parti confiné depuis le 2 mai au rôle ingrat de 2e opposition. On songe notamment à l'organisation de primaires à l'américaine dans laquelle de simples quidams qui ne sont pas membres du parti participeraient au choix de son prochain chef en 2013. Ouverture du parti ou ingénieux mécanisme pour susciter l'attention des médias pendant des mois? Peu importe, on fait de la politique autrement.

Renier la volonté des électeurs

Pendant ce temps, on transfuge à qui mieux mieux, et sans trop de scrupules dans le cas de la députée fédérale de Saint-Maurice - Champlain, Lise St-Denis, élue néo-démocrate le 2 mai.

Dressant peut-être sa carte du ciel politique durant le congé des fêtes, Mme St-Denis s'est soudain découvert un ascendant libéral. Sans doute portée par une vague plutôt qu'élue pour ses qualités de leader, Mme St-Denis n'en a pas moins banalisé son rôle de députée en conférence de presse la semaine dernière, avouant candidement que ses électeurs avaient voté pour Jack Layton. Nouvellement veuve, la députée s'est crue autorisée à sauter la clôture pour courtiser un nouveau chef, fut-il plus au centre qu'à gauche.

Les électeurs du comté de la transfuge fédérale ont assurément voté pour Jack Layton d'abord. Ils ont sans doute été un certain nombre aussi à appuyer son parti et ses politiques, similaires dans certains cas aux politiques libérales, mais tout à fait à l'opposé sur d'autres plans, notamment le rôle de l'armée canadienne.

Conclusion : tandis qu'on aspire, du côté du PLC, à faire plus de place aux électeurs au sein du parti, on encourage une députée de la formation à renier le choix de 97 000 d'entre eux. C'est ça faire de la politique autrement?

Séance de patinage d'un ex-futur souverainiste

Du côté québécois, il faut entendre François Rebello patiner depuis lundi -lire  notamment cette entrevue avec Nathalie Collard de La Presse- pour comprendre que ce que souhaite le député de La Prairie, c'est remporter ses prochaines élections auprès d'un homme politique qu'il admire et respecte, peut-être avant tout pour sa personne que pour ses idées. La gang et les sondages avant les convictions souverainistes? Peut-être...

S'il est élu sous les couleurs d'une coalition elle-même victorieuse au Québec, Rebello peut assurément prétendre à un poste de ministre. Ce même ministre qui, à l'automne 2011, aura assuré sa chef de sa confiance et de son soutien avant de la lâcher quelques semaines plus tard, proclamant sur toutes les tribunes sa foi en la souveraineté avant de joindre les rangs d'un parti qui la range dans le placard pendant au moins 10 ans.

C'est ça, faire de la politique autrement? À qui les électeurs pourront-ils désormais faire confiance?


La volonté des électeurs

Je ne peux m'empêcher de voir d'un bon œil le projet de loi soumis par les néo-démocrates qui obligent les députés qui changent d'allégeance à obtenir l'accord de leurs électeurs lors d'une élection partielle.

Qu'un député démissionne en cours de mandat  pour des questions de principe pour siéger comme indépendant? Aucun problème. C'est presque courageux de sa part quand on sait qu'il perdra alors tout le soutien financier, logistique et en matière de recherche que lui procurait son groupe parlementaire. Il se condamne au silence et à la réclusion. Mais qu'un projet de loi interdise de renier la volonté de ses électeurs en se ralliant à une nouvelle formation politique, l'idée m'enchante de plus en plus.


Les députés, responsables du cynisme ambiant?

Mes 10 années passées à l'Assemblée nationale m'ont permis d'apprécier le travail des députés et m'ont inspiré beaucoup d'admiration pour ces femmes et ces hommes qui ne comptent pas leurs heures pour porter les attentes et les projets de celles et ceux qu'ils représentent. Mais je ne peux m'empêcher d'approuver l'éditorialiste André Pratte quand il écrit dans La Presse du 14 janvier 2011 que les politiciens sont les premiers responsables du cynisme qu'ils suscitent, notamment en jouant les vire-capots.

Un sondage mené par La Presse dans le cadre d'un dossier sur les enquêtes consacrées aux "bavures policières" révélait hier que 11% des Québécois font confiance aux politiciens. Je serais curieux d'entendre Mme St-Denis et M. Rebello sur cette piètre cote d'amour de nos politiques...

On croyait voir Barak Obama faire de la politique autrement. Nos attentes étaient vastes comme son pays et nous avons été déçus. L'heure est peut-être venue de miser sur de petits gestes pour rétablir la confiance en nos politiciens.

Nous sommes aussi sans doute "dus", comme citoyens, pour une réflexion sur ce que nous attendons de nos élus : comme leur permettre par exemple d'avoir droit à l'erreur.

dimanche 8 janvier 2012

Ne plus s'appartenir

Premier film de 2012, premier coup de cœur : Shame (La honte), de Steve McQueen, porté par l'extraordinaire comédien Michael Fassbender, m'a captivé et touché, moi que les films "intérieurs" laissent d'ordinaire indifférent. En marge des autres films d'auteur plus grand public que les analystes de la scène du cinéma voient déjà concourir dans les prestigieuses catégories des Oscars - Les descendants avec George Clooney, L'Artiste, Cheval de guerre de Spielberg-, La honte mérite assurément une nomination pour son comédien principal -et seul personnage de premier plan du film-, véritable cercle chromatique de l'émotion.

Un film "pas facile"

Pas facile de promouvoir un film dont le sujet principal, la dépendance au sexe sous toutes ses formes, provoque davantage de malaise et de dégoût que d'empathie. Le défi se corse quand le film en question comporte peu de dialogues, de décors, de personnages. Voilà pourtant en quoi réside selon moi la principale force de l’œuvre : rendre extrêmement attachant un personnage réfugié dans le silence et l'absence, dont le vice -ou la faiblesse, selon le point de vue- noyaute toute sa personnalité.

Fassbender incarne Brandon, trentenaire qui semble exceller sur le plan professionnel, mais dont la vie privée pue le vide, la solitude, la souffrance, la fuite. Ce New-Yorkais abandonné dans la ville du succès se soigne sans pudeur à coup de branlettes dans les toilettes du bureau, de consommation effrénée d'escortes, de séances de "chat" sur des sites pornos ou d'accumulation de matériel illicite sur le disque dur de son ordinateur au bureau.

La honte de ne plus s'appartenir

Respecté par ses pairs qui croient à un virus lorsqu'on découvre toutes les insanités dont il a gavé son ordinateur, Brandon ne s'appartient plus. Animé, dépassé par une rage qui le déshumanise, il est possédé par une fébrilité sexuelle qui ne fait qu'attiser cette fureur sans l'éteindre.

Telle est la honte qui anime le personnage au moment où sa soeur qu'il aurait préféré évité de croiser revient dans sa vie: un abandon total à la satisfaction d'instincts purement animals, qui lui sert à étouffer son incapacité à entrer en relation sérieuse -entendre ici amoureuse- avec des femmes. A moins que ce ne soit le seul moyen qu'il ait trouvé pour "socialiser".

Quasi déshumanisé, Brandon évolue en plus dans un univers aux limites du glacial : la froideur d'un Manhattan dépouillé de toute chaleur, un bureau et un appartement complètement blanc et beige, des trajets de métro qui s'étirent et... le vide, le vide, le vide, plat horizon dans lequel sa soeur et une collègue parviennent à lui administrer quelques électrochocs.


Loin des histoires classiques de rédemption

La honte ne vous plaira pas si vous appréciez les histoires linéaires de type mise en contexte -> élément déclencheur -> dénouement. McQueen propose plutôt une incursion ponctuée de soubresauts dans la vie de Brandon plutôt qu'une histoire plus classique de rédemption qui accompagne le spectateur de l'obscurité vers la lumière. Le film saisit son personnage au moment il où pourrait s'abandonner à une certaine tendresse amoureuse, lui qui est plutôt abonné à la performance sexuelle et à la satisfaction quasi bestiale.

Les scènes qui entourent cette séduisante et douloureuse rencontre - comme la plupart des scènes du film- sont écrites et tournées de façon particulièrement réalistes. J'ai beaucoup apprécié la première sortie au restaurant, alors que les 2 personnages un peu maladroits sont constamment interrompus par un serveur qui déclame le menu du jour, impose plus qu'il ne propose un vin, dérange les personnages à chaque moment crucial de leur conversation, eux qui peinent à s'élancer sur la voie d'une relation. C'en est presque drôle! Et puis la conversation fait place aux aspirations, aux rêves, et on est touché.

La honte, film hors norme aussi parce que plusieurs questions ne suscitent pas les réponses espérées, à commencer par la cause de cette dépendance, voie d'échappement plutôt que problème en soi. Un contexte familial pénible? Cette absence de réponse claire ne m'a pas frustré: le film avance dans l'exposition du vécu plutôt que dans l'introspection.

Du grand jeu

Cette tranche de vie chatouille un temps l'espoir, bascule aussi dans le tragique. Récit d'extrêmes qui privilégie le non-dit, mais que le visage, le corps de Michael Fassbender, complètement à nu dans ce film -au propre comme au figuré- rendent éloquent.

Moi que les non-dit bouleversent rarement, j'ai vu dans les yeux, les expressions de ce comédien se succéder et s'entremêler de multiples nuances : désir, désarroi, joie timide, angoisse, honte, mépris, colère, horreur, désespoir, et ce, de brillante façon. Du grand jeu. Tout cet entrelac d'émotions beaucoup plus complexes que les mots qui servent à les énumérer baigne en plus dans une musique magnifique, dont quelques pièces de Bach interprétées par le pianiste Glen Gould. C'est très beau.

Le puritanisme des élites américaines balaiera-t-il La honte des écrans culturels populaires? Dommage si c'est le cas, car ce film surgit sur nos écrans alors que nous n'avons jamais autant consommé de sexe, à toute heure, sur toutes les plateformes, sur le papier glacé des magazines d'épicerie grand public, dans la chambre des amours d'Occupation double ou dans les vidéoclips des stars du dance et du hip hop, qui participent à une douteuse construction de la perception du corps, du rôle de la sexualité et de la place de l'intimité dans les relations humaines.

Quant à Michael Fassbender, j'ai extrêmement hâte de le revoir dans le rôle du psychiatre Carl Jung, confronté à Sigmund Freud dans Une méthode dangeureuse, prochain film de David Cronenberg, qu'on attend sur nos écrans au Québec le vendredi 13 janvier. À noter: La honte est présenté en version anglaise sous-titrée en français au cinéma Le Clap.