Premier film de 2012, premier coup de cœur : Shame (La honte), de Steve McQueen, porté par l'extraordinaire comédien Michael Fassbender, m'a captivé et touché, moi que les films "intérieurs" laissent d'ordinaire indifférent. En marge des autres films d'auteur plus grand public que les analystes de la scène du cinéma voient déjà concourir dans les prestigieuses catégories des Oscars - Les descendants avec George Clooney, L'Artiste, Cheval de guerre de Spielberg-, La honte mérite assurément une nomination pour son comédien principal -et seul personnage de premier plan du film-, véritable cercle chromatique de l'émotion.
Un film "pas facile"
Pas facile de promouvoir un film dont le sujet principal, la dépendance au sexe sous toutes ses formes, provoque davantage de malaise et de dégoût que d'empathie. Le défi se corse quand le film en question comporte peu de dialogues, de décors, de personnages. Voilà pourtant en quoi réside selon moi la principale force de l’œuvre : rendre extrêmement attachant un personnage réfugié dans le silence et l'absence, dont le vice -ou la faiblesse, selon le point de vue- noyaute toute sa personnalité.
Fassbender incarne Brandon, trentenaire qui semble exceller sur le plan professionnel, mais dont la vie privée pue le vide, la solitude, la souffrance, la fuite. Ce New-Yorkais abandonné dans la ville du succès se soigne sans pudeur à coup de branlettes dans les toilettes du bureau, de consommation effrénée d'escortes, de séances de "chat" sur des sites pornos ou d'accumulation de matériel illicite sur le disque dur de son ordinateur au bureau.
La honte de ne plus s'appartenir
Respecté par ses pairs qui croient à un virus lorsqu'on découvre toutes les insanités dont il a gavé son ordinateur, Brandon ne s'appartient plus. Animé, dépassé par une rage qui le déshumanise, il est possédé par une fébrilité sexuelle qui ne fait qu'attiser cette fureur sans l'éteindre.
Telle est la honte qui anime le personnage au moment où sa soeur qu'il aurait préféré évité de croiser revient dans sa vie: un abandon total à la satisfaction d'instincts purement animals, qui lui sert à étouffer son incapacité à entrer en relation sérieuse -entendre ici amoureuse- avec des femmes. A moins que ce ne soit le seul moyen qu'il ait trouvé pour "socialiser".
Quasi déshumanisé, Brandon évolue en plus dans un univers aux limites du glacial : la froideur d'un Manhattan dépouillé de toute chaleur, un bureau et un appartement complètement blanc et beige, des trajets de métro qui s'étirent et... le vide, le vide, le vide, plat horizon dans lequel sa soeur et une collègue parviennent à lui administrer quelques électrochocs.
Loin des histoires classiques de rédemption
La honte ne vous plaira pas si vous appréciez les histoires linéaires de type mise en contexte -> élément déclencheur -> dénouement. McQueen propose plutôt une incursion ponctuée de soubresauts dans la vie de Brandon plutôt qu'une histoire plus classique de rédemption qui accompagne le spectateur de l'obscurité vers la lumière. Le film saisit son personnage au moment il où pourrait s'abandonner à une certaine tendresse amoureuse, lui qui est plutôt abonné à la performance sexuelle et à la satisfaction quasi bestiale.
Les scènes qui entourent cette séduisante et douloureuse rencontre - comme la plupart des scènes du film- sont écrites et tournées de façon particulièrement réalistes. J'ai beaucoup apprécié la première sortie au restaurant, alors que les 2 personnages un peu maladroits sont constamment interrompus par un serveur qui déclame le menu du jour, impose plus qu'il ne propose un vin, dérange les personnages à chaque moment crucial de leur conversation, eux qui peinent à s'élancer sur la voie d'une relation. C'en est presque drôle! Et puis la conversation fait place aux aspirations, aux rêves, et on est touché.
La honte, film hors norme aussi parce que plusieurs questions ne suscitent pas les réponses espérées, à commencer par la cause de cette dépendance, voie d'échappement plutôt que problème en soi. Un contexte familial pénible? Cette absence de réponse claire ne m'a pas frustré: le film avance dans l'exposition du vécu plutôt que dans l'introspection.
Du grand jeu
Cette tranche de vie chatouille un temps l'espoir, bascule aussi dans le tragique. Récit d'extrêmes qui privilégie le non-dit, mais que le visage, le corps de Michael Fassbender, complètement à nu dans ce film -au propre comme au figuré- rendent éloquent.
Moi que les non-dit bouleversent rarement, j'ai vu dans les yeux, les expressions de ce comédien se succéder et s'entremêler de multiples nuances : désir, désarroi, joie timide, angoisse, honte, mépris, colère, horreur, désespoir, et ce, de brillante façon. Du grand jeu. Tout cet entrelac d'émotions beaucoup plus complexes que les mots qui servent à les énumérer baigne en plus dans une musique magnifique, dont quelques pièces de Bach interprétées par le pianiste Glen Gould. C'est très beau.
Le puritanisme des élites américaines balaiera-t-il La honte des écrans culturels populaires? Dommage si c'est le cas, car ce film surgit sur nos écrans alors que nous n'avons jamais autant consommé de sexe, à toute heure, sur toutes les plateformes, sur le papier glacé des magazines d'épicerie grand public, dans la chambre des amours d'Occupation double ou dans les vidéoclips des stars du dance et du hip hop, qui participent à une douteuse construction de la perception du corps, du rôle de la sexualité et de la place de l'intimité dans les relations humaines.
Quant à Michael Fassbender, j'ai extrêmement hâte de le revoir dans le rôle du psychiatre Carl Jung, confronté à Sigmund Freud dans Une méthode dangeureuse, prochain film de David Cronenberg, qu'on attend sur nos écrans au Québec le vendredi 13 janvier. À noter: La honte est présenté en version anglaise sous-titrée en français au cinéma Le Clap.
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