samedi 12 juin 2010

Aimer dans le vide

Servi dans un emballage à la fois années 50 et contemporain, vintage et hipster, Les amours imaginaires de Xavier Dolan séduit par la beauté de sa forme, touche par la vérité de son propos. La douleur de l'amour quand on aime dans le vide et le test d'une amitié déchirée par l'amour. Le Bang Bang d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens.

L'autodidacte qui "parle" cinéma

Je suis fasciné chaque fois que j'entends Xavier Dolan en entrevue. L'un des décrocheurs les plus célèbres du Québec m'apparaît aussi, à 21 ans, comme l'un de ses autodidactes les plus impressionnants. Le fils de Manuel Trados "parle" cinéma: au-delà de ses références littéraires et de sa créativité débordante, c'est passionnant de l'entendre discuter de ses références cinématographiques et de découvrir comment il exploite le langage cinématographique -cadres, montage, musique, direction artistique- pour servir son propos. Tourné rapidement encore à petit budget, Les amours imaginaires possède à la fois ce langage et ce propos.

Deux amis, Marie et Francis, sont séduits par le même gars qui débarque soudain dans leur vie: Nicolas, aux boucles d'or -pas le mien...- , dont on questionne la profondeur tout en s'inclinant devant son talent pour la séduction. Cherche-t-il l'amour ou l'amitié? Est-il frivole ou sensible? Aux hommes ou aux femmes? Le bellâtre entraîne les 2 amis dans son sillage, les poussant -sans le vouloir ou consciemment- vers les excès de l'amour, pour certains parmi les plus humiliants... alors qu'autour de Marie et Francis vivotent pourtant des hommes beaux, sensibles et tendres qui semblent bien mieux les aimer. Pour moi, ce fait constitue sans doute la partie la plus troublante du film.

L'art à l'écran

Les amours imaginaires s'appuie sur une solide direction artistique:


  • utilisation répétée -un peu excessive- des ralentis
  • choix du gros plan pour livrer le message
  • costumes tout aussi éclatants qu'éloquents, conçus par Dolan lui-même, qui constituent un personnage en soi
  • précision d'orfèvre dans le choix des accessoires
  • musique en appui: de la froideur du 3e sexe d'Indochine à la douceur et à la tendresse des sonates au violoncelle de Bach en passant par le coup au coeur de Bang Bang interprété par Dalida, la trame musicale est partie prenante de l'histoire et véhicule pertinent d'émotions. 


Un véritable talent de dialoguiste

Une direction artistique sans propos ne fait que retarder l'ennui. Or, les situations et les dialogues des Amours imaginaires -et les apartés d'inconnus racontant leurs propres histoires d'amour qu'on entend à quelques reprises- sonnent... vrais. Insidieusement, le film s'infiltre par les pores de la peau et libère en crescendo des émotions placées sous vide. Et avec elles les questions et quelques absurdités de la vie:


  • aimer autant quand on sait pourtant dès le départ que l'autre ne partage pas nos sentiments
  • vibrer tellement quand il nous frôle... pour rien
  • sacrifier une amitié... pour du vide
  • être pathétique... trop longtemps avant de revenir sur terre.


Beau film, donc,  mitonné par un dialoguiste hors pair: qu'ils soient drôles, ironiques, timides, déchirés, consternés, les mots des personnages sont authentiques, suscitent l'éclat de rire ou l'empathie.

Tous les comédiens sont solides, les principaux comme les étonnants secondaires, notamment Anne Dorval qui vole encore le show dans le rôle de Désirée, la mère de l'inaccessible Nicolas. On oublie vite quelques répliques trop écrites et le fait que Xavier Dolan ne s'efface pas encore assez derrière ses personnages pour chanter... Bang Bang, comme une détonation sans écho.

2 commentaires:

Suzie et Louis a dit…

Quel excellent article. Lu la semaine dernière et relu cette semaine, on n'a qu'une envie, c'est de se précipiter pour voir ce film.
Les 2 BBEC

Raphaël Thériault a dit…

Merci beaucoup de ce commentaire, chers BBEC. Nous vous suivi avec passion sur votre blogue, au bureau comme à la maison!