dimanche 6 juin 2010

Piano, Paris et Le Trotski

Revue cinéma des derniers jours en ce dimanche pluvieux, temps idéal pour s'installer devant le grand écran... ou pour en magasiner un plus petit sous forme d'ordinateur portable! En attendant de craquer vendredi prochain pour Les amours imaginaires de Xavier Dolan, voici la critique -amateure-


"Je suis un compositeur"

S'il y a une évidence que vous devez retenir au terme du film L'Enfant prodige, consacré au pianiste québécois André Mathieu, c'est que cet artiste exceptionnel doit sa déchéance -et par le fait même, son absence dans la mémoire collective- au fait de ne pas avoir été reconnu comme un compositeur de talent, mais plutôt comme un brillant virtuose. Ce message, le scénario du film le martèle avec insistance, pas toujours subtilement... Toute sa vie, illustre-t-il, Mathieu tentera de promouvoir des oeuvres à contrecourant des pièces "modernes" de son époque, obtenant plutôt une reconnaissance qu'il refuse par son jeu pianistique hors du commun.

J'avance à tâtons dans cette description, car si un constat s'impose au terme du film de Luc Dionne, c'est que le réalisateur pourtant séduit par son sujet nous offre peu de chair autour de l'os. À l'imagine du récent Gainsbourg (vie héroïque), biographie bédéesque de l'auteur de Couleur café, L'enfant prodige se présente comme une succession d'événements et de rencontres que le scénariste ne parvient pas à inscrire dans un contexte plus large, celui de l'histoire de la musique classique de l'époque.

  • Comment Mathieu a-t-il débuté au piano? 
  • Comment est né son désir de composer? Pourquoi si jeune?
  • Que représente la musique pour lui? 
  • Comment a-t-il rencontré ces comédiens qui partagent la 2e partie de sa vie et qui seront les seuls à lui proposer leur amitié? 
  • Qui sont exactement ces femmes qu'il aimées et en quoi s'identifiait-il à ces amours de passage? 
  • En quoi consistait la musique dite moderne au cours des années 1930 et 1940?

Beaucoup de questions sans réponses sur un film dont les principales qualités sont de nous inciter à lire la récente biographie de Mathieu signée Georges Nicholson ou à nous plonger davantage dans l'oeuvre musicale sublime de celui qu'on désigne comme l'héritier du compositeur et pianiste russe Rachmaninov. Quoiqu'il faille quand même connaître un peu l'histoire du prodige québécois avant d'aller voir le film tellement celui-ci nous en dit peu...

Brûler un sujet

Sinon, comme il l'avait fait pour l'étrange série Bunker le cirque sur le monde politique, Luc Dionne "brûle" ici un sujet prometteur.

La première partie de son film, succession de concerts au cours desquels le jeune Mathieu partage ou non la scène avec son père, est profondément ennuyeuse. Le jeu de Guillaume LeBon -qui incarne Mathieu- n'est pas toujours juste et on apprend peu de choses sur le personnage central du film. Le public réclamait davantage, il me semble, que des visages stupéfaits ou émerveillés, auxquels s'ajoute l'étrange rencontre, à Paris, avec une sorte de pianiste bohémien dont on ne comprend pas trop le sens et à travers laquelle le réalisateur semble vouloir faire passer un message capital.

En 2e partie, Patrick Drolet -Mathieu de 15 à 39 ans-, donne du souffle et de l'émotion à son personnage, dont on découvre soudain la complexité. Il a peu de texte à se mettre sous la dent -exception faite des fameuses déclarations "Je suis un compositeur"-, mais touche par son incapacité à se remettre sur pieds. Des journalistes l'ont souligné: difficile de croire que Drolet a 15 ans quand il entre en scène et ce choix de casting ne simplifie pas la compréhension de l'histoire. Quel âge a Mathieu dans cette scène, donc? se demande-t-on constamment.

Un film à la réalisation et au scénario un peu déficients, qui a toutefois le mérite, comme l'ont évoqué plusieurs, d'ouvrir des portes vers l'oeuvre du pianiste André Mathieu, dont la réhabilitation semble en voie d'être chose faite.

Une bonne histoire au coeur du Montréal anglo

The Trotsky -Le Trotski en français-, film extrêmement sympathique et bien construit, offre tout le contraire de L'enfant prodige: une bonne histoire, qui nous happe instantanément, du rythme et beaucoup d'originalité.

Seul obstacle si on voit le film en français -il y a quelques semaines, seule la version française était disponible à Québec: la traduction. Pourquoi les films tournés en anglais et traduits en français au Québec sont-ils si atrocement mal doublés? Souvenons-nous de Mambo Italiano... Et qui double Jay Baruchel, l'interprète du personnage principal du film, Léon Bronstein? Xavier Dolan! Difficile, donc, de se faire une idée propre du héros quand son "double" francophone possède une présence assez forte...

Sinon, ne boudez surtout pas votre plaisir devant le parcours de Léon, convaincu d'être la réincarnation de Léon Trotski, compagnon de Lénine lors de la Révolution russe de 1917 qui porte les "masses prolétariennes" au pouvoir. Pour avoir tenté de syndicaliser le personnel de l'usine de son riche bourgeois de père, un Juif anglo-montréalais, Léon est envoyé -comble de malheur!- à l'école publique... Jacques-Parizeau!!

Léon voit rapidement dans ce nouveau lieu un champ propice aux batailles qui le font vivre. Il ne tarde donc pas à s'engager dans une lutte en faveur de la mise sur pied d'une association étudiante. Fort de l'appui de quelques collègues blasés qu'il secoue de leur apathie et d'une soeur aussi déterminée que lui, Léon entreprend une quête à laquelle se joignent, volontairement ou non

  •  un avocat en fin de carrière autrefois gauchiste notoire
  • l'amour que l'Histoire envoie sur la roue du Trotsky québécois
  • un directeur d'école fin littéraire, excellent Colm Feore, le bon flic du Bon Cop, Bad Cop
  • et une commissaire d'école exaltée, apparition réussie de Geneviève Bujold.

En plus de cette histoire extrêmement bien menée, le film s'appuie sur une solide direction artistique : les lieux mis à l'écran sont invitants et empreints d'un bonheur latent et la musique de Malajube y est extrêmement bien exploitée. J'ai d'ailleurs redécouvert ce groupe rock francophone québécois dont je commence à vraiment apprécier la musique, que je jugeais d'abord complètement cacophonique.

À voir pour la performance de Jay Baruchel et pour l'ensemble de la distribution et surtout, si vous aimez les bonnes histoires.

Nouveau tango à Paris

Printemps 1968: la capitale française est animée par un vent de révolte étudiante alors que Matthew, jeune Américain, débarque à Paris pour se consacrer à sa passion: le cinéma. C'est en dévorant des films à la Cinémathèque qu'il fait la connaissance des jumeaux Théo et Isabelle. Ses nouveaux amis l'entraîneront dans une trouble aventure dont le décor sera l'appartement de leurs parents, temporairement désertés.

Telle est la prémisse de base de The Dreamers -Innocents en français-, film de 2003 réalisé par Bernardo Bertolucci. Les cinéphiles y trouveront assurément leur compte car cette oeuvre est truffée de références au 7e art et se veut un hommage à celles et ceux qui lui ont donné vie: Marlene Dietrich, Greta Garbo, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Fred Astaire, etc.

C'est donc dans la passion du cinéma que naît une étrange histoire d'amour et d'amitié entre un Américain de prime abord prude et réservé et un couple de jumeaux en apparence libertins... mais que leur relation particulière isole du monde et des passions qui le soulève. D'abord initié à l'amour, Matthew tentera à son tour d'initier ces nouveaux amis à la vie, eux qui, découvre-t-il, refusent de vieillir et de sortir d'un cocon enveloppant.

Un beau film, joué avec justesse par de jeunes comédiens plongés dans une histoire pas facile à livrer, tant sur les plans physique que psychologique. Originale façon d'explorer la fièvre de Mai 68.

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