samedi 10 mai 2008

Pas toujours cool d'être "hockey"

Au tour de la ville de Québec d’être hockey, pour reprendre le slogan du département marketing de nos glorieux Canadiens de Montréal.

Sur les capots des voitures arpentant la Capitale, les fanions du Championnat mondial de hockey ont détrôné ceux du Canadien, éliminé samedi soir dernier par les Flyers de Philadelphie. Loin des débats à la 110% sur une rivalité potentielle entre "Kovi" et Koivu", à Québec, on parle suédois et danois… et on rechigne contre les bouchons dans le secteur du Colisée Pepsi.

Je n’irai probablement pas assister à un match France-Biélorussie au cœur de Limoilou… mais j’ai tout de même envie de vous parler hockey, de hockey au cinéma, en fait.

Un déclencheur : Jonathan Roy

Samedi 22 mars, 22h.

Alors que s'amorce le Téléjournal, la plupart des Québécois s’émeuvent non pas des propriétés salvatrices de l’eau de Pâques, mais plutôt de la surprenante « volée » que le gardien de buts des Remparts de Québec, Jonathan Roy, fils de Patrick, a infligé à son homologue des Saguenéens de Chicoutimi lors de la série opposant les deux équipes. La victime, Bobby Nadeau, ne parviendra jamais à retrouver son « air d’aller » lors des matchs subséquents et les Remparts, sans Jonathan Roy, suspendu, remporteront la série.

Depuis, Jonathan Roy a annoncé qu'il ferait désormais dans le hip hop, mais c'est une autre histoire...

Le geste, en apparence gratuit, suscite durant quelques jours une vaste remise en question du niveau de tolérance à la violence dans la Ligue de hockey junior majeure du Québec (LHJMQ) . La ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport flaire le capital politique et entre dans la mêlée.
Exploiter le rêve?

Le débat s’élargit : les joueurs de la ligue québécoise sont-ils les victimes d’un système exploitant des adolescents à des fins commerciales en leur faisant miroiter le rêve de devenir des stars de la Ligue nationale de hockey pour mieux remplir des arénas et les poches des actionnaires des équipes? Est-il acceptable que des jeunes du secondaire et du cégep disputent autant de parties, la plupart à des kilomètres de leur port d’attache, sacrifiant par le fait même leurs études… pour devenir des laisser pour compte du repêchage de la LNH?

Dans La Presse, le journaliste Yves Boisvert publie une entrevue passionnante avec l’ex-joueur de la Ligue nationale de hockey, Joé Juneau. Juneau vit aujourd'hui dans le Grand nord québécois où il tente de contrer le mal de vivre et le décrochage scolaire chez les jeunes Inuits en les initiant au hockey.

Avant de s’illustrer chez les Bruins de Boston, les Capitals de Washington et le Canadien de Montréal, cet attaquant a fait son entrée dans la LNH non pas par la LHJMQ, mais plutôt à la suite de belles années passées dans une ligue collégiale québécoise AAA, puis dans une équipe universitaire américaine lui ayant permis de compter des buts tout en obtenant un diplôme d’ingénieur. Dans l’entrevue accordée à Boisvert, Juneau raconte les déboires d’ex-coéquipiers ayant cru que la ligue québécoise leur conférerait un jour le statut de millionnaire du hockey et dont la carrière de hockeyeur s’est brutalement terminée, sans qu’ils n’aient prévu –ou qu’on leur ait proposé- un quelconque plan B.

Une caméra dans le vestiaire

Ce débat vite éclipsé de la scène médiatique m’a donné encore plus envie de voir le documentaire Junior , réalisé par Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault pour l’Office national du film. Lancé en janvier 2008, le film a suscité beaucoup d’intérêt médiatique, tant chez les journalistes spécialisés en cinéma que chez les chroniqueurs sportifs . Merci à Radio-Canada de l’avoir inscrit à sa programmation printanière avec trois autres documentaires québécois.

Ce film percutant fait pénétrer le spectateur dans les coulisses d’une équipe de hockey de la LHJMQ, le Drakkar de Baie-Comeau, au cours d’une saison particulièrement difficile. S’attachant peu à la relation des joueurs avec leurs partisans, leur ville d’attache ou leur famille d’accueil –car ces jeunes hommes ont dans bien des cas quitté leur ville ou leur province natale pour jouer au hockey-, Junior aborde cependant de front plusieurs aspects liés à la commercialisation du hockey junior. Cette production a remporté, le 25 avril dernier, le prix du Meilleur long-métrage documentaire canadien aux Hot Docs de Toronto, « le plus grand festival de film documentaire en Amérique du Nord » selon Radio-Canada.

La testostérone dans le plancher

Vous cherchez un regard neuf sur le hockey? Vous voulez savoir ce qui se dit réellement dans un vestiaire? Je ne saurais vous conseiller ce film sans artifices, une belle illustration de testotérone "dans le plancher".

Car Junior met en scène un monde d’hommes :
  • un entraîneur, ses adjoints et des actionnaires luttant pour la survie économique et sportive de leur équipe et qui élaborent des plans en fonction du potentiel économique des joueurs (le bagarreur, il intimide ses coéquipiers mais il attire aussi les foules!);


  • des agents, véritables gérants d’estrade aux allures de vautours flairant le profit ou devrait seulement s’épanouir le talent;


  • et des adolescents, un peu naïfs, qu’on encadre jusque dans l’intimité de leur chambre d’hôtel et qu’on transforme à coups de « calice » et de « tabarnak » en machine à gagner, parfois simplement pour laver l’honneur de l’entraîneur.

Seule présence féminine : quelques jeunes filles faisant la file en fin de match pour quémander un autographe à des gars qu’elles perçoivent comme des héros mais que nous devinons parfois bien mal dans leur peau, et particulièrement ces trois personnages involontaires que deviennent :


  • Benjamin Breault, futur espoir de la Ligue nationale, qui, dès la première scène du film, nous est présenté dans un restaurant, en pleine séance de « lessivage » avec son agent le pressant de façon parfois presque menaçante de changer d’attitude –de renoncer à son adolescence en fait- s’il veut être repêché par une équipe professionnelle au terme de la saison;


  • Alex Lamontagne, hockeyeur "vedette" se joignant au Drakkar alors qu'il est complètement écoeuré de pratiquer son sport et qu’on surprend à pleurer à chaudes larmes devant ses « coachs »;


  • L'anglophone Ryan Lehr, échangé, à sa demande, à une équipe des Maritimes pour qu’il puisse se rapprocher de chez lui et qui apprend 2 minutes plus tard que sa nouvelle équipe… l’envoie à Chicoutimi!

Téléréalité authentique

Sont-ils tenus par un quelconque code ou par leur volonté de demeurer "homme" en tout temps? Quoiqu’il en soit, le personnel d’entraîneur ne semble manifester aucune empathie à l’égard des états d’âme de ces jeunes, dont « les questions existentielles » dérangent parfois les plans de l’équipe. Dans ce monde d’encadreurs rigoureux, seul le conseiller pédagogique apparaît comme une présence bienfaisante!

Au terme de deux heures de dérangeante « téléréalité », on ne peut que saluer la démarche des réalisateurs, qui se sont complètement éclipsés devant leur sujet, renonçant par exemple à réaliser des entrevues avec les principaux protagonistes, à commenter « l’action » en voix hors champ, et même à présenter leurs « personnages » par des éléments infographiques à l’écran . Si ce dernier choix crée une certaine confusion, alors qu’on se demande parfois qui est cet homme et quel rôle il joue au sein de l’équipe, elle est vite oubliée devant les propos lourds de sens qui s’échangent devant nous et l’authenticité des scènes auxquelles mous avons la chance –ou la malchance- d’assister.

Les réalisateurs ont-ils utilisé des caméras cachées? Il semble que non! Comment alors des entraîneurs, des joueurs, des agents ont-ils pu oublier à ce point les « kodaks » et s’exprimer aussi crûment et naturellement devant la caméra? Seul élément de subjectivité dans cette œuvre : le choix des scènes retenues pour le montage, qui offrent un aperçu réussi des six mois de la saison 2005-2006 du Drakkar tout en s’attachant particulièrement aux destins mentionnés plus haut. Plusieurs séquences silences sont particulièrement évocatrices :


  • les joueurs forcés d'apprendre à faire un noeud de cravate ou à repasser pour jouer les stars en habit;


  • les photos de verre de ces équipiers qu'on remplace dans l'aréna au gré des échanges;


  • la souffrance d'un joueur a qui un médecin aussi compatissant qu'une tonne de briques replace brutalement une épaule déboîtée.

Si cette authenticité cinématographique m’a d’abord plongé dans un certain malaise, impression, en fait, d’assister à des scènes humiliantes, en voyeur, sans avoir demandé la permission, elle laisse au final la satisfaction d’avoir cerné de façon originale un sujet, une microsociété, faite de victoires et de réjouissances, mais aussi de brusques retours à la réalité.

Parlez-en à ces joueurs qui finiront seuls dans les gradins au terme du repêchage de la Ligue nationale…

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