Vous découvrirez ce que j’ai pensé de Juno, Il y aura du sang et Expiation dans trois précédents billets. Au terme de cette course à la perle cinématographique américaine de l’année, je considère qu’il s’agit des trois films les plus intéressants du prestigieux top 5 de l’Académie. Et qu’un film original et audacieux comme I’m not there : Les vies de Bob Dylan, malgré son dénouement qui s’étire, aurait assurément mérité une place parmi les concurrents au titre du meilleur film.
Et je pense enfin que des perles, il doit s’en cacher de plus précieuses dans d’autres catégories que celle du long métrage car, et à mon humble avis, Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme des frères Coen et Michael Clayton, de Tony Gilroy, sont loin d’être des candidats inspirants.
Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (Ethan et Joel Coen) : …
Il n’y pas que la traduction française du titre de la plus récente production des frangins sans doute les plus estimés du cinéma américain qui étonne : la sélection au rang de meilleur film de l’année de No Country for Old Men laisse tout aussi perplexe.
Quoiqu’après avoir assisté, en 1998, au triomphe de la sympathique comédie romantique Shakespeare in love de John Madden devant quatre poids lourds :
- Il faut sauver le soldat Ryan et La mince ligne rouge, qui avaient redonné ses lettres de noblesse au film de guerre par leur réalisme morbide et l’humanité de leurs personnages de soldats dont on mettait enfin en scène la terreur et l’impuissance;
- le premier volet de la fascinante biographie de la reine anglaise Elizabeth, celui de son ascension au trône d'Angleterre;
- et le magnifique La vie est belle, touchante fable d’un père qui transforme en conte de fée le séjour de son fils et le sien dans un camp de concentration...
on ne se surprend plus de rien! Quelle année quand même, celle de 1998... Disons que le triomphe des amours de l’auteur de théâtre anglais avait dû coûter cher à la maison de production Miramax!
Les choix de la conservatrice -et corruptible?- Académie ne nous font plus tomber en bas de notre chaise. Et puis, avouons-le, nous dormirons quand même dimanche soir si la dernière œuvre des frères Coen remporte le trophée tant convoité…
Peu de matière
Ce long préambule n’a qu’un seul objectif : masquer le peu de matière que j’ai à partager sur le film noir des deux frères vu il y a deux semaines –et pour lesquels des sous-titres ont été indispensables à la compréhension de l’accent texan.
L’histoire? Celle d’un homme téméraire qui, se pointant par hasard sur les lieux sanglants d’une transaction de drogue ayant mal tourné, s’empare d’un somptueux magot… au grand déplaisir de l’affreux tueur campé par un effrayant Javier Bardem –en lice, avec raison, pour l’Oscar du meilleur acteur dans un rôle de soutien-, et dont l’arme favorite est une sorte de pompe à oxygène aux multiples usages. Comme quoi une arme originale peut vous mener loin…
On se tire beaucoup dessus dans ce film, comme l’a constaté Seb dans son commentaire, film donnant également la parole à un shérif philosophe, le vieil homme du titre, j’imagine, impuissant à contrôler les pulsions de mort des personnages et dépassé par toute cette violence.
Un engouement de cinéphile?
J’ai beau cherché, je ne comprends pas l’engouement :
- pour ce film dont ni le scénario, ni la façon dont il est filmé, ne révolutionnent, il me semble, l’histoire du cinéma;
- pour l'oeuvre des frères Coen en général.
Un portrait sans complaisance de l’Amérique profonde? Un savant dosage de drame et d’humour grinçant?
Les journalistes Marc-André Lussier, de La Presse, et Karl Filion, de Cinoche.com, ont en tout cas vu dans ce « western moderne » quelque chose qui m’a échappé :
Lussier : "Tout, dans ce film, est stupéfiant : le récit, le ton, la mise en scène, la direction photo (travail sublime de Roger Deakins), sans oublier l'interprétation de haut vol d'une distribution d'ensemble (même ceux qui ont de tout petits rôles) de laquelle émerge notamment un Javier Bardem étonnant. […] No Country for Old Men, un titre qui fait écho à la chute d'un monde où aucun code d'honneur n'a plus cours… "
Fillion : "Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme oppose modernité et tradition sans bêtement comparer jeunes et vieux. Les cowboys se déplacent en voiture et utilisent des silencieux, c’est la nouvelle réalité toute simple de ce pays qui n’est le pays de personne, cette terre aride où on fait ce qu’on a à faire et c’est tout, peu importe les conséquences."
Aimer avec sa tête
J’avance une hypothèse.
Dans plusieurs disciplines artistiques, la sélection des chefs-d’œuvre tient souvent à une série de critères esthétiques ou formels qui échappent à l’amateur. On a porté aux nues 2001, l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick. Or, un de mes souvenirs les plus tenaces de cinéma consiste en ce soir de début janvier 2001 au cours duquel mon père, ma mère et moi roupillons à l’unisson chacun bien calé dans notre fauteuil devant ce film profondément ennuyant.
Il faut peut-être, pour l’apprécier, connaître à fond l’histoire du cinéma, savoir que les effets spéciaux de 2001… étaient tout à fait novateurs? que le thème était au diapason des préoccupations de l’homme de 1968, qui venait à peine ou qui allait enfin faire ses premiers pas sur la lune? que le réalisateur utilisait pour la première fois une caméra X ou une lentille y?
On aimera une œuvre parce qu’elle nous touche, on l'appréciera sans doute aussi de façon plus rationnelle en connaisseur, parce qu’au moment de sa création, elle s’inscrit en règle contre les normes esthétiques qui font alors l’unanimité :
- le tableau offre une nouvelle perspective ou opte pour des sujets jamais esquissés à ce jour ou qui s’élèvent contre les valeurs d’une société;
- l’auteur d’une pièce de théâtre propose une œuvre beaucoup plus ancrée dans la réalité que ses contemporains, offrant enfin une voix à des groupes trop longtemps ignorés;
- un auteur pond le premier roman ne comptant pas une seule virgule ou aucune lettre "e" dans ses 300 pages.
Cent ans plus tard, les historiens de l’art, les metteurs en scène, les littéraires craqueront pour ces œuvres de « contre-culture » ayant renouvelé les codes en vigueur dans leur discipline. L’amateur comme moi, qui ne saisit pas toutes ces nuances, préfèrera être simplement ému, tenu en haleine, ébloui par les "belles images" ou assis sur le bout de son siège tant l'histoire est enlevante.
D'ailleurs, ne me faites pas croire que tous ceux qui déclarent aimer 2001, l’odyssée de l’espace sont sincères. Il existe des connaisseurs… comme des snobs qui n’oseraient avouer pour rien au monde que dans le fond, leur film préféré, c’est Footlose…
Michael Clayton (Tony Gilroy) : à n’y rien comprendre
Quand le premier geste que vous posez après avoir vu un film est de vous précipiter sur une critique, non pas pour revivre, à travers le texte d’un autre, le coup de cœur que vous venez d’éprouver, mais pour comprendre tout simplement le scénario de l'oeuvre, ça regarde mal! Vous n’avez pas saisi les nuances de l’anglais des personnages? Non! Vous n’avez même pas compris qui ils sont, quels sont leurs motifs ni dans quelle galère ils se sont embarqués.
N. et moi avons vécu cette situation après avoir vu Michael Clayton. Je me disais, tout au long du film, qu’une mystérieuse clé allait enfin m’éclairer, qu’on allait m’expliquer quelle était exactement la mission de l’avocat Clayton (joué par George Clooney, en nomination dans ce rôle pour l’Oscar du meilleur acteur), coincé entre un collègue plaideur devenu fou et les intérêts de sa firme. J’ai appris en lisant deux critiques que le personnage du très crédible George vivait une crise existentielle. Ah ouin?
J’ai rarement ressenti une telle impression d’être tenu à l’écart d’un film dont l’histoire pourrait me captiver mais… je n’y comprends que dalle! Vous tenez à voir cette œuvre déjà sortie en DVD? Renseignez-vous d’abord sur ce qu’elle raconte!